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Les poésies des Tristan Corbière

Lettre du Mexique


Vous m'avez confié le petit.-Il est mort.
«Et plus d'un camarade avec, pauvre cher être.
L'équipage ... y en a plus. Il reviendra peut-être
Quelques-uns de nous.-C'est le sort»-

«Rien n'est beau comme ça-Matelot-pour un homme
Tout le monde en voudrait à terre-C'est bien sur.
Sans le désagrément. Rien que ça : Voyez comme
Déjà l'apprentissage est dur.»

«Je pleure en marquant ça, moi, vieux Frère-la-côte.
J'aurais donné ma peau joliment sans façon
Pour vous le renvoyer... Moi, ce n'est pas ma faute :
Ce mal-là n'a pas de raison.»

«La fièvre est ici comme Mars en carême,
Au cimetière on va toucher sa ration.
Le zouave a nommé ça-Parisien quand-même-
« Le Jardin d'acclimatation .»

«Consolez-vous. Le monde y crève comme mouches.
... J'ai trouvé dans son sac des souvenir de coeur :
Un portrait de fille, et deux petites babouches,
Et : marqué- Cadeau pour ma soeur .»-

«Il fait dire à maman : qu'il a fait sa prière.
Au père : qu'il serait mieux mort dans un combat.
Deux anges étaient là sur son heure dernière :
Un matelot. Un vieux soldat.»


La Fin


Eh bien, tous ces marins - matelots, capitaines,
Dans leur grand Océan à jamais engloutis...
Partis insoucieux pour leurs courses lointaines,
Sont morts - absolument comme ils étaient partis.

Allons ! c’est leur métier ; ils sont morts dans leurs bottes !
Leur boujaron, au coeur, tout vifs dans leurs capotes...
- Morts... Merci : la Camarde a pas le pied marin ;
- Qu’elle couche avec vous : c’est votre bonne-femme...
- Eux, allons donc : Entiers ! enlevés par la laine !
Ou perdus dans un grain...

Un grain... est-ce la mort, ça’ la basse voilure
Battant à travers l’eau ! - Ça se dit encombrer...
Un coup de mer plombé, puis la haute mâture
Fouettant les flots ras—et ça se dit sombrer.
Sombrer. - Sondez ce mot. Votre mort est bien pâle
Et pas grand’chose à bord, sous la lourde rafale...
Pas grand’chose devant le grand sourire amer
Du matelot qui lutte. - Allons donc, de la place !
- Vieux fantôme éventé, la Mort change de face:

La mer !...

Noyés ? - Eh ! allons donc ! Les noyés sont d’eau douce.
- Coulés ! corps et biens ! Et, jusqu’au petit mousse,
Le défi dans les yeux, dans les dents le juron !
A l’écume crachant une chique ràlée,
Buvant sans hauts-de-coeurs la grande tasse salée.

- Comme ils ont bu leur boujaron. -
- Pas de fonds de six pieds, ni rats de cimetière :
Eux, ils vont aux requins ! L’âme d’un matelot,
Au lieu de suinter dans vos pommes de terre,
Respire à chaque flot.

Voyez à l’horizon se soulever la houle ;
On dirait le ventre amoureux
D’une fille de joie en rut, à moitié soûle...
Ils sont là ! - La houle a du creux. –

- Écoutez, écoutez la tourmente qui beugle ! ...
C’est leur anniversaire. - Il revient bien souvent !
O poète, gardez pour vous vos chants d’aveugle ;
- Eux : le De profundis que leur corne le vent.

... Qu’ils roulent infinis dans les espaces vierges ! ...
Qu’ils roulent verts et nus,
Sans clous et sans sapin, sans couvercle, sans cierges,
- Laissez-les donc rouler, terriens parvenus !

A bord, 11 février